Régnier contre Dubois, jiu-jitsu contre boxe française!
D’un côté, Ernest Régnier, ancien lutteur greco-romain et professeur de jiu-jitsu. Il a été initié à Londres par des maîtres japonais et au Bartisu-Club (la première école européenne de jiu-jitsu, qui propose une méthode de self-défense inspirée du jiu-jitsu appelée le « Bartisu »). Ernest Régnier a 36 ans, mesure 1m65 et pèse 63 kg. Face à lui Georges Dubois, ancien sculpteur, pratiquant de savate et maître d'arme d'escrime.
Il a décidé de défier celui qui se fait appeler "Professeur Ré Nié" pour prouver la supériorité de la boxe française sur l’art du combat japonais. Dubois est un homme de tradition qui pratique tous les sports de défense français, boxe, escrime, combat avec canne et autres techniques de son invention. Dubois est aussi une sorte de bodybuildeur de l'époque, connu pour soulever des poids et des haltères, célèbre pour sa force et ses talents de boxeur. Il a 40 ans, mesure 1m68 et pèse 75 kg.
Un combat événement...
Le combat paraît donc déséquilibré, et c'est ce qui attire! Les journaux sportifs font une grande publicité autour de l'événement, plus considéré comme une expérience étrange que comme un vrai défi sportif. On connaît en effet très peu le Japon et ses arts martiaux, encore moins le jiu-jitsu.
C'est une vraie curiosité... De nombreux sportifs de haut niveau sont présents (auto,escrime,boxe), des vedettes, et probablement quelques représentants japonais. L’affrontement a lieu sur la terrasse d’une usine de carrosserie à Courbevoie. On est loin des PPV de l’UFC, mais presque 500 personnes sont présentes pour assister à cette opposition d'un genre inédit.
Le combat a lieu dans les conditions réelles de l’époque, en costume et chapeaux, comme dans un combat de rue. Le but est de savoir quel sport est le meilleur pour se défendre lors d'une agression. Les règles sont les mêmes que celles d'aujourd’hui : interdit de mordre, crever les yeux, viser les parties, et on arrête le combat quand un des combattants s’avoue vaincu.
... qui ne dure que 26 secondes !
L'arbitre donne le coup d'envoi :"Allez messieurs". En bon savateur, Dubois lance un premier kick, que Régnier esquive. Lors de la deuxième attaque de Dubois, "Ré Nié" lui rentre dedans, le ceinture, et les envoie tous les deux au sol. Dubois tente de l'étrangler, mais "Ré Nié" pivote sur le dos, lui saisit le bras droit et place un pied sur sa gorge. Dubois hurle de douleur, il vient de subir un Jugi Gatame. Soumission, fin du combat. Le show n’a duré que 26 secondes…
Le Jujitsu a largement gagné, et sans faire aucun blessé (les autorités avaient failli interdire le combat pour cette raison) ! Beaucoup de boxeurs estiment que Dubois a mal représenté la boxe, et une bagarre éclate dans le public à ce sujet. Mais la majorité des spectateurs restent admiratifs du jiu-jitsu et de son efficacité, ils ont frissonné, et même si le combat était très court ils estiment en avoir eu pour leur argent.
Ernest Régnier, un pionnier du jiu-jitsu en France
Le professur Régnier et le jiu-jitsu deviennent célèbres pendant plusieurs années! Des personnalités prestigieuses s’inscrivent à ses cours, notamment le prince Joachim Murat et l’acteur Mounet-Sully (Oui, plus personne ne sait qui c'est aujourd'hui!) et il part faire des démonstrations un peu partout en Europe, notamment devant le Roi du Portugal. Le jiu-jitsu devient vite la nouvelle activité à la mode, à tel point que le « Sport universel illustré » titrait en 1906: « Tout est au jiu-jitsu ! Les rues, les journaux, les théâtres, les music-halls retentissent de ce mot magique qui sonne comme un clairon de victoire».
Après le combat, "Ré Nié" écrira « Les secrets du Jiu Jitsu », un livre pionnier sur les arts martiaux en France. L'auteur est un des premiers à théoriser cet art martial pour un public non-japonais. Il définit le jiu-jitsu comme "l'art de combattre et de vaincre la force brutale par la vitesse et l'habileté musculaire". Régnier retrace aussi son histoire, il y explique qu"il y a plus de deux mille ans que le Jiu Jitsu, qu'il faut prononcer djiou-djitsss,- et qui peut se traduire par brise-muscle est entré dans les mœurs du japon, et depuis cinq cents ans au moins, on peut suivre son développement". Ré-nié précise bien que la discipline était réservée aux guerriers japonais et aux nobles, et qu'ils en gardaient jalousement les secrets que Régnier transmets dans son livre.
La mode du jiu-jitsu finira par disparaître au bout d'une petite dizaine d'années, avant de revenir au Brésil grâce aux frères Gracie dans les années 90. Quant à ce genre de combats, devenus très populaires, ils seront finalement interdits suite à de trop nombreux accidents.